L'HEMOPHILIE
par le Docteur Denise REMY
L'hémophilie apparaît, à l'aube de l'année 1993, comme un
point d'actualité particulièrement douloureux. Personne n'ignore le problème
de la contamination des hémophiles par le virus du SIDA. Alors que certains malades contaminés sont déjà morts, que d'autres
endurent d'atroces souffrances, la population tout entière des hémophiles vit
dans la hantise d'une potentielle transmission du SIDA liée à la transfusion
sanguine.
L'homme n'est pas le seul être vivant à être affecté par
l'hémophilie. Les animaux paient aussi un certain tribut à la maladie,
l'espèce canine notamment. D'ailleurs, l'hémophilie canine présente énormément
de similitudes avec l'affection humaine.
Essayons de définir cette maladie, de comprendre son mécanisme pour en venir à
sa traduction clinique, aux moyens de diagnostic ou de dépistage et à son
traitement.
Puis nous étudierons les modes de transmission de l'hémophilie. Nous tenterons
enfin d'évaluer l'importance de la maladie dans l'espèce canine avant de tirer
un certain nombre de conclusions générales.
L'hémophilie désigne un trouble de l'hémostase, c'est-à-dire de la coagulation
sanguine, relatif à un déficit en un facteur particulier de la coagulation.
L'hémophilie A correspond à un déficit en facteur VIII, l'hémophilie B à un
défaut de facteur IX.
L'hémophilie A est, de loin, le trouble le plus fréquent. Aussi le terme
hémophilie sous-entend-il le plus souvent hémophilie A. C'est à cette dernière
affection que nous nous intéresserons.
Afin de bien comprendre le mécanisme de
l'hémophilie, il est nécessaire de rappeler très brièvement et schématiquement
le principe de l'hémostase physiologique : chaque fois qu'un vaisseau sanguin
est lésé, les différentes étapes de la coagulation sont immédiatement mises en
œuvre et aboutissent à la constitution du caillot sanguin.
Le rôle de ce dernier est d'obstruer la brèche vasculaire et de mettre ainsi
le sujet à l'abri d'une hémorragie.
Puis, dans un second temps, après cicatrisation de la paroi du vaisseau, ce
caillot est dissous par un mécanisme spécifique. Décrivons le processus
relatif à la formation de ce caillot. En présence d'une plaie d'un vaisseau,
si minime soit-elle, certaines cellules du sang, les plaquettes sanguines,
adhèrent à la paroi du vaisseau au niveau de la lésion.
Elles forment un agrégat qui porte le nom de clou plaquettaire. Ce dernier
obstrue provisoirement la brèche vasculaire, mais il est labile et, s'il n'est
pas rapidement stabilisé par le deuxième temps de la coagulation, il se
dissout et le sang s'écoule à l'extérieur du vaisseau.
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Ce deuxième temps de l'hémostase est celui de la coagulation plasmatique et
nous intéresse au premier chef dans l'hémophilie.
Cette coagulation plasmatique fait intervenir douze facteurs, dont les fameux
facteurs VIII et IX, et correspond à une cascade de réactions enzymatiques
dans laquelle les différents facteurs s'activent en chaîne les uns les autres
pour aboutir à la constitution de fibrine.
Celle-ci stabilise, consolide le clou plaquettaire, lequel est alors
transformé en thrombus rouge, c'est-à-dire en caillot sanguin définitif.
Un déficit en facteur VIII va retentir sur la coagulation plasmatique : en
raison du défaut d'un des maillons de la chaîne, les réactions enzymatiques
sont ralenties, insuffisantes ou bloquées, la fibrine est formée en quantité
insuffisante, voire pas du tout, le clou plaquettaire ne peut être stabilisé,
il se dissout et il s'ensuit une hémorragie plus ou moins grave en fonction de
l'importance du vaisseau lésé.
En réalité, dans l'hémophilie, le facteur VIII existe mais il est en plus ou
moins grande partie anormal. Ce facteur anormal ne peut jouer son rôle dans la
coagulation plasmatique.
Sur le plan fonctionnel, les choses se passent comme si ce facteur VIII était
absent ou insuffisant.
La symptomatologie de l'hémophilie comprend les manifestations hémorragiques
et leurs séquelles.
Ces symptômes varient considérablement dans leur importance en fonction de la
gravité de l'hémophilie.
Cette gravité est corrélée au taux de facteur VIII fonctionnel dans le sang.
On considère ainsi que l'hémophilie reste modérée s'il subsiste un taux
sanguin de facteur VIII fonctionnel correspondant à au moins 2 % du taux
normal d'un individu sain. Si le taux de facteur VIII est inférieur à
1 % du
taux normal, l'hémophilie est sévère.
D'une manière générale, on observe trois types d'épisodes hémorragiques :
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Des hémorragies extériorisées peuvent être occasionnées par des blessures même
minimes, aux coussinets notamment, mais aussi par les éruptions dentaires, par
des lésions gingivales, linguales ou labiales. Ces hémorragies peuvent
entraîner une anémie aiguë fatale en l'absence de traitement.
- Des
hémorragies tissulaires, notamment articulaires, périarticulaires,
musculaires, provoquent des hématomes volumineux, souvent extensifs, siégeant
préférentielle- ment au niveau des membres et déterminant parfois des
boiteries.
- Enfin, des hémorragies internes, qui débouchent sur une grande
cavité (abdomen, thorax) sont à l'origine de décès brutaux. Des hémorragies
épidurales entraînent des compressions médullaires pouvant paralyser l'animal.
Les jeunes animaux semblent être particulièrement menacés par les
manifestations hémorragiques de l'hémophilie, peut-être parce qu'ils sont
particulièrement turbulents et de ce fait exposés à toutes sortes de
traumatismes. L'observation de tels phénomènes hémorragiques conduit à
suspecter une éventuelle hémophilie. Mais d'autres affections peuvent donner
lieu à des symptômes analogues. Ainsi, pour élaborer avec certitude un
diagnostic d'hémophilie, il est nécessaire de mettre en évidence le déficit en
facteur VIII et, pour ce faire, de recourir à des analyses sanguines. |